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Le Ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
30 mars 2023

Dois-je comprendre que je suis votre digne fils ?

 

ax la source papillon

Maquette du costume d’un papillon de La Source - 1866 

 

Charles de Vaudreuil à son père Emilien

Paris le 14 décembre 1867

 

Mon bien cher Père,

J’ai lu avec le plus vif intérêt vos deux longues lettres, qui m’ont fait imaginer ce qu’avait dû être l’apparition saisissante et féérique de Melle Taglioni dans la Sylphide. L’art des pointes et le costume vaporeux de la ballerine sont aujourd’hui si bien dans l’habitude qu’on a peine à imaginer qu’ils sont en somme une invention récente, datant de moins de quarante années.

Votre anecdote à propos de l’infortuné « Schneitzhoeffer, prononcez Bertrand » m’a fait sourire. Mais est-elle seulement vraie ? J’ai été ému, aussi, de vous découvrir tout jeune homme, enchanté, subjugué par une irréelle fée errant dans sa forêt bleutée.

En ce qui me concerne, j’ai ressenti cette émotion si vive qu’elle semble affecter jusqu’à l’âme, non pas lors de mon premier ballet – qui fut le bien charmant Diavolina – mais lorsque nous avons vu ensemble Giselle. A mon tour, je fus envoûté par ces ombres flottant au clair de lune dans une vapeur de gaze blanche. De plain-pied j’entrai dans un monde surnaturel, où le pâle fantôme de Giselle venait tendrement secourir l’homme qui l’avait trahie. C’est vraiment alors que je me pris pour le ballet d’un engouement qui ne se dément pas. Dois-je comprendre que je suis votre digne fils ?

Quel dommage qu’on ne donne plus la Sylphide aujourd’hui, pas plus que Giselle, d’ailleurs ! En attendant, j’irai ce soir revoir encore une fois la Source, qui figure quatre fois à l’affiche ce mois-ci, assortie d’Alceste. Quand on y pense, quelle étrange coutume d’associer systématiquement un ballet avec un opéra, et d’autant plus lorsque ce ballet dure déjà plus de trois heures à lui seul !

Comme vous le savez, c’est le ballet qui a ma préférence, et cette Source, en dépit de ses longueurs et de toutes les imperfections que les critiques lui attribuent, agit sur moi comme un charme incessant. Invinciblement, que je le veuille ou non, pendant plusieurs heures d’une existence factice je suis entraîné par la musique, enchanté par les miracles qui se produisent sous mes yeux,  comblé par les évolutions les plus gracieuses de telle ou telle danseuse. Oublieux de tout, je me plonge dans la fantaisie, voltigeant sur le dos des papillons, me blottissant dans le calice des fleurs, amoureux de tous les éphémères.

Mais je serai très bientôt auprès de vous pour les fêtes, nous aurons le temps de deviser bien tranquillement au coin du feu de cette Source qui me captive, et de tous les ballets ou autres sujets qu’il vous plaira.

Adieu, mon cher père, et croyez-moi toujours votre fils dévoué.

Charles de Vaudreuil

 

Notes :

Schneitzhoeffer Jean Madeleine Marie (1785-1852) : compositeur français, professeur au Conservatoire, chef de chant à l’Opéra. Il composa la musique de plusieurs ballets, en particulier La Sylphide.

Taglioni Marie (1804-1884) : danseuse italienne née à Stockholm, fille de Filippo Taglioni. Danseuse à l’Opéra de Paris de 1827 à 1837, elle y remporta un triomphe sans égal dans La Sylphide (1832). Elle est considérée comme la première et l’une des plus grandes ballerines romantiques.

 

La Sylphide : ballet en deux actes, livret d’Adolphe Nourrit, musique de Jean Schneitzhoeffer, chorégraphie de Filippo Taglioni, décors de Pierre-Luc-Charles Cicéri, costumes d’Eugène Lami. Créé par Marie Taglioni et Joseph Mazilier, le 12 mars 1832.

Giselle : ballet en deux actes, livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Théophile Gautier, musique d’Adolphe Adam, chorégraphie de Jean Coralli et Jules Perrot, décors de Pierre-Luc-Charles Cicéri, costumes Paul Lormier. Créé par Carlotta Grisi et Lucien Petipa, le 28 juin 1841.

Diavolina : ballet en un acte, livret et chorégraphie d’Arthur Saint-Léon, musique de Cesare Pugni, décors de Charles Cambon et Joseph Thierry, costumes d’ Alfred Albert et Paul Lormier. Créé par Martha Mouravieff et Louis Mérante le 6 juillet 1863.

La Source : ballet en trois actes et quatre tableaux, livret de Charles Nuitter et Arthur Saint-Léon, musique de Léo Delibes (acte 1 et 3) et Léon Minkus (acte 2), chorégraphie d’Arthur Saint-Léon, 1ère représentation à l’Opéra rue Le Peletier le 12 novembre 1866.

 

Alceste : opéra en trois actes, de Christoph Willibald Gluck, livret de Ranieri de' Calzabigi dérivé de la pièce d'Euripide. Créé le 26 décembre 1767 au Burgtheater à Vienne et le 23 avril 1776 dans sa version française à l'Académie Royale de Musique au Palais-Royal.

 

 

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Le Ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien
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