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Le Ballet de l'Opéra de Paris au 19ème siècle
6 janvier 2023

Entrée d’un artichaut portant une jeune fille

 

ax source 3

Entrée d’un artichaut portant une jeune fille (Estampe Félix Y. - La Vie Parisienne, 17 novembre 1866)  

 

Charles de Vaudreuil à son père Emilien

Paris, 3 décembre 1866

 

Mon cher Père,

Hier dimanche, je suis allé écouter un concert de musique que j’ai fort goûté. Très heureusement composé, le programme comprenait entre autres l’ouverture de la Flûte enchantée, la symphonie en la majeur de Mendelssohn, l’ouverture de Coriolan et l’exquise Invitation à la valse. Quel ballet poétique ne pourrait-on pas composer sur cette œuvre délicate de Weber ! Excellemment dirigé par M. Pasdeloup, l’orchestre, comme à l’accoutumée, a joué admirablement et je suis sorti de là de très belle humeur.

Dans votre dernière lettre, vous m’évoquiez les ballets de la Sylphide, du Corsaire et d'autres. Je me sens bien ignorant par rapport au fin connaisseur que vous êtes, et ma soif de culture chorégraphique est grande. Vous me feriez une grande faveur en me parlant des ballets et des danseurs que vous avez eu l’occasion d’applaudir depuis notre loge de la rue Le Peletier. Tout ce que vous pourrez m’apprendre me sera infiniment précieux et je vous en remercie par avance. J’aimerais aussi que vous m’éclairiez, si vous en savez quelque chose, sur le curieux terme de « rats » dont on affuble les jeunes sujets de la danse. Pourquoi des rats ? D’où vient ce nom saugrenu, presque injurieux, et qui, en apparence, a si peu de rapport avec l’objet qu’il désigne ?

Pour en revenir à la Source, il vous amusera peut-être d’avoir quelques échos de ma conversation avec mon cher ami Saint-André, d’un avis beaucoup plus mordant que le mien sur ce ballet, qu’il qualifie de « conte des mille et un ennuis ». A ses yeux, jamais ballet ne fut plus inintelligible, ronds de jambe plus ennuyeux, ni mimique plus insupportable ; aussi a-t-il fait ses délices de la caricature parue dans La Vie Parisienne du 17 novembre, que vous avez peut-être vue. Elle est en effet très drôle, se résumant à quelque chose comme :

-          Acte 1 : Entrée d’un artichaut portant une jeune fille. Entrée d’un jeune homme aux champignons qui saute au plafond et retombe sur ses pieds avec une fleur. Entrée d’une jeune fille simplement vêtue, d’une taille trop longue ; le jeune homme est épaté… Ils sortent.

-          Acte 2 : Un monsieur en manteau rouge souffle dans un requin en carton. Entrée d’une belle polonaise portant la fleur du jeune homme aux champignons. La petite Fiocre a mal aux dents, le rideau tombe.

-          Acte 3 : La scène représente une marmite, on fait la cuisine. Apparition de la jeune fille à la taille trop longue et de la belle polonaise. Tableau final : Tout le monde entre, un jeune homme sort avec une jeune fille, une dame tombe, tout le monde tombe, le rideau tombe... Bravo ! Surtout la musique.

Il faut dire que, selon Saint-André, on réduit à un seul acte des chefs-d’œuvre tels le Comte Ory pour faire place à des amusettes surannées comme la Source, ce qui est à ses yeux impardonnable car il est féru, comme beaucoup d’abonnés, d’opéra plus que de ballet. Pour moi, j’avoue mon faible pour le ballet et ne comprends pas bien le fanatisme de certains hommes d'esprit pour l’opéra exclusivement, au détriment de la danse. Il n’empêche que j’ai bien ri avec cette caricature de la Vie Parisienne, qui a, avouons-le, un fond de vérité.

J’ai eu ce matin-même de Marie-Amélie une charmante et affectueuse lettre, comme elle sait les écrire. Elle semble trouver le temps bien long parmi les nonnes de son pensionnat et je sais que de votre côté vous attendez Noël avec impatience pour retrouver votre fille chérie.

Adieu, mon père, croyez que je pense souvent à vous.

Mille respects affectionnés de votre fils.

Charles de Vaudreuil

 

Notes :  

Ferraris Amalia (1828-1904) : danseuse italienne. Elle dansa à l’Opéra de Paris à partir de 1856.   

L’Etoile de Messine : ballet en deux actes et six tableaux, livret de Paul Foucher et Pasquale Borri, musique du comte Gabrielli, chorégraphie de Pasquale Borri, 1ère représentation à l’Opéra rue le Peletier le 20 novembre 1861.   

La Source : ballet en trois actes et quatre tableaux, livret de Charles Nuitter et Arthur Saint-Léon, musique de Léo Delibes (acte 1 et 3) et Léon Minkus (acte 2), chorégraphie d’Arthur Saint-Léon, 1ère représentation à l’Opéra rue Le Peletier le 12 novembre 1866.   

Le Comte Ory : opéra de Rossini (1828), dont le 1er acte était joué dans la même soirée que la Source, au moment de la création du ballet.

 

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  • En 1866 commence une correspondance imaginaire entre un fils et son père, ayant pour commune passion le ballet. Charles partage ses enthousiasmes de tout jeune abonné à l’Opéra de Paris avec son père Emilien
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